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"Basses terres", un livre d'Estelle-Sarah Bulle

14 février 2024, par Mathilde Ciulla

Estelle-Sarah Bulle met à nouveau sa Guadeloupe familiale au coeur d’un roman, après nous avoir fasciné.es avec Là où les chiens aboient par la queue. Ici, le volcan menace les habitant.es de Basse-Terre et reconfigure les relations.

Eté 1976. La Soufrière donne des signes de vouloir entrer en éruption. Eucate, qui habite sur ses pentes avec sa petite-fille Anastasie, n’y voit aucune raison de changer ses habitudes. Le quotidien de cette vieille femme, meurtrie par les années, est habité par ses fantômes : son ancien patron, qui rappelle le passé colonial de la Guadeloupe, qui l’a violée à de multiples reprises et qui est le géniteur de sa fille Espérance, avec laquelle elle a décidé de fuir pour s’installer sur ses pentes du volcan ; Ange, ce magnifique cycliste, qui lui rendait visite régulièrement et rendait son existence moins solitaire. Mais celle pour laquelle elle s’inquiète désormais n’en a que faire : sa petite-fille Anastasie, fille d’Espérance, est bien décidée à entrer en contact avec celle qu’elle pense être son père.

Sur le chemin qui descend vers Basse-Terre, sous un ciel polypeux, Eucate pense que la vie n’a pas toujours été mauvaise avec elle puisqu’elle a encore Anastasie. Même si elles doivent manger des racines jusqu’à la mi-Carême, c’est une bénédiction d’être ensemble.”

Sur l’autre poumon de l’île, Elias accueille son fils, Daniel, parti pour la métropole, et sa famille qui viennent en vacances en Guadeloupe pour la première fois depuis dix-sept ans. La case s’anime alors de nombreuses discussions, d’odeurs de cuisine et de souvenirs qui remontent à la surface au cours des marches entre père et fils pour s’occuper des bêtes autour de la case. Mais la famille Bévaro a elle aussi ses fantômes qui hantent les rapports familiaux : la mère de Daniel, disparue il y a bien longtemps, et son frère, interné dans un hôpital psychiatrique.

Langage bigarré pour familles bigarrées

En ce mois de juillet 1976, la Soufrière passe aux informations en France. (...) C’est la première fois que les habitants entendent le présentateur, qui s’appelle Roger Gicquel et qu’ils voient chaque jour à l’écran, à quatorze heures quand il est vingt heures en France, l’heure des informations sérieuses, évoquer la Guadeloupe.”

De plongées dans la vie de ces deux familles, de chaque côté de l’île, le roman d’Estelle-Sarah Bulle devient également celui de l’organisation de la Guadeloupe pour faire face à une possible éruption volcanique : les débats entre scientifiques alarmistes et rassurants, la lente prise en compte par le gouvernement métropolitain de l’urgence de la situation, les embouteillages de voitures avec des valises sur les toits tentant de quitter les villes menacées. L’écriture de l’autrice rend réelles les vagues de chaleur et le vide laissés par les habitants qui fuient, dans lequel des enfants courent à la poursuite d’un poulet échappé…

Basses terres est le retour d’Estelle-Sarah Bulle vers l’autofiction et le récit des origines familiales. Il est l’occasion pour l’autrice de montrer, une fois de plus et avec une étonnante délicatesse, l’histoire compliquée de cette île éloignée de la métropole, trop souvent oubliée d’elle, dont le passé est marqué par l’esclavagisme et le colonialisme qui laissent encore des traces sur la société où Blanc.hes et Noir.es ne sont toujours pas égaux.ales. Elle nous ouvre les portes des quotidiens de plusieurs familles, révélant leur pauvreté aggravée par la complexité des relations entre les femmes et les hommes, par un patriarcat rampant et par de lourdes normes.

A travers les yeux de Daniel, qui redécouvre son île après presque deux décennies d’absence, mais aussi d’Anastasie, jeune fille étrange qui ne veut pas entrer dans le rang et qui cherche à se libérer du secret de sa naissance, le langage bigarré d’Estelle-Sarah Bulle nous enchante et nous transporte sur les pentes de la Soufrière en cet été 1976 de tous les dangers. 

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"Basses terres", Estelle-Sarah Bulle, Editions Liana Levi, 202 pages, 20€




auteur
Rédactrice en chef Littérature


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