La ville, cette entité vitale, structure habitable et habitée, essentielle à notre monde, prend forme, à la Fondation Cartier, sous deux regards totalement différents. Daido Moriyama, photographe contemporain japonais, capte l’immédiateté fourmillante d’un Tokyo opulent quand Fernell Franco, photographe colombien de la fin du XXème, décrypte les lourds secrets de Cali, murs hantés d’une ville mystérieuse.
Au rez-de-chaussée, l’œuvre en couleur de Daido Moriyama pose les yeux sur un pays, sur une ville, sur le quartier Shinjuku à Tokyo. La couleur vibrante, nerveuse, prend à la ville ses lois, ses mythes. Les 86 tirages (choisis parmi plusieurs milliers d’images numériques) sont articulés en de grands panneaux, des panneaux aux sujets singuliers qui, assemblés, nous entraînent dans des tourbillons urbains, dans le quotidien des juxtapositions presque absurdes que nous ne constatons plus. L’urbanisation se fait globalité et les codes japonais ricochent, nous semblant tout près. Plans serrés ou plans larges, Daido Moriyama s’attarde sur des détails, capte une émotion, montre des accumulations de fils électriques, des amas de tuyaux, des grillages. Il caractérise les vivants, animaux et hommes, dévoilant leurs créations consuméristes sans jamais assigner un jugement mais s’approchant toujours au plus près de ce qui est.
Au sous-sol, l’ambiance est plus calme, plus profonde et moins immédiate. Les clichés de Fernell Franco, tous argentiques, s’étalent institutionnellement. Rassemblés par séries, ils offrent, à travers des thématiques choisies, la captation d’une ville meurtrit. Les murs sont sciemment utilisés et chaque format trouve la place de s’exprimer. Ils respirent. Les formats respirent alors que les formes, mélancoliques, nous amènent dans les tréfonds d’une ville suffocante. Bouleversantes, ces séries sont tour à tour empreintes de la froideur de jeunes prostituées que l’innocence a quitté (la première série personnelle de l’artiste), de bâches empaquetées à la manière de corps cachés, de scènes nostalgiques de jeux, d’endroits vides, de ruines, de rues désertes. Ces photographies, en plus d’émouvoir par la force de leur contenu, sont d’une technicité folle et la maîtrise de l’artiste se figure dans le rendu des matières, dans le jeu des contrastes, dans l’appel de la lumière, dans la composition de l’espace, dans le dialogue des formes. Fernell Franco a pour habitude de revenir sur ses clichés. Il coupe, dessine, retravaille, rehausse, redécoupe, recompose, décompose, donnant à l’image une portée franche, presque philosophique. Un travail pictural parfois, sensible toujours, auquel l’artiste Oscar Muñoz rend hommage dans l’une des dernières salles de l’exposition.
Deux expositions savamment différentes, étonnantes, que l’on vous incite à découvrir.